mercredi 13 juillet 2016

Faire les frais du dysfonctionnement de la justice, le lot quotidien des médias et journalistes de RDC

 En République démocratique du Congo (RDC), la liberté d’information est toujours à rude épreuve. Il y a lieu de s’interroger sur la persistance de cette situation en dépit d’un arsenal juridique relativement appréciable en termes de garantie de liberté de presse. 

Il ne se passe pas une semaine sans qu’un media ou un professionnel de media puisse faire l’objet des violences  qui est le fait principalement de ceux qui sont appelés à assurer la sécurité des personnes et de leurs biens ; et accessoirement des privés qui peuvent être soit des personnalités influentes, ou encore des bandes des jeunes survoltés. Dans sa mission de défendre et de promouvoir la liberté d’information, l’Observatoire de la Liberté de la Presse en Afrique (OLPA) n’a cessé de tirer la sonnette d’alarme sur les interpellations, incarcérations, harcèlement ou autres actes d’intimidation à l’endroit des professionnels de la presse congolaise.  Et tout récemment, fin juin et mi-juillet 2016, OLPA a rapporté trois cas d’arrestations des journalistes à Goma (Nord Kivu) et Mahagi (Ituri), lesquels illustrent un dysfonctionnement inadmissible de la justice au Congo.
Le journaliste Papy Okito du journal Echo d’Opinions de Goma a été interpellé par des agents de police qui l’ont conduit directement à la maison d’arrêt situé au Parquet de grande instance de Goma. Sans être auditionné, il a été transféré et placé en détention à la prison de Munzenze à Goma dans la plus grande irrégularité. Son péché est de s’être interrogé sur  le patrimoine d’un ministre du gouvernement central dans la dernière parution d’Echo d’opinions. Au lieu de susciter un débat citoyen, la publication a été à la base de la colère du ministre et de ses proches. D’où, l’irrégularité qui a entaché la procédure d’arrestation du journaliste.  Le journaliste Okito a passé trois jours à la prison centrale de Munzenze sans être entendu ni par un magistrat ni par un inspecteur judiciaire.  Ce n’est que 72 heures après qu’il a été auditionné par un magistrat qui ne pouvait que constater l’injustice pour décider de sa relaxation tout en lui enjoignant de payer une caution de 250 mille francs congolais, on ne sait pourquoi. Dans la même ville de Goma quelques jours après, un autre journaliste a été appréhendé pour avoir supprimé une photo sur un statut Whatsapp. Le comble de cette histoire sans aucun rapport direct avec l’exercice de la liberté de presse, est que ce journaliste a été plusieurs fois gardé au domicile d’un officier de la police qui exécutait des ordres venant d’un quidam de Kinshasa. Il a du verser une forte somme d’argent pour recouvrer sa liberté. En Ituri, les agents d’un service spécialisé des Forces armées se sont aussi donné le luxe d’arrêter les journalistes Jacques Unyuta Tuambe et Joel Ular Wedunga de la radio communautaire la Colombe de Mahagi, on ne sait à quel titre. Donnant l’impression d’exécuter un ordre manifestement illégal venu d’ailleurs, ils vont abandonner les deux journalistes dans un cachot de la police où le Commissaire de police ne cessait de s’interroger sur le bien-fondé d’une telle interpellation. Et comme le ridicule ne tue pas, ce sont des agents de l’ANR Mahagi qui s’improvisent pour entendre les journalistes sur procès-verbal. Quelle entorse ? Sans être en mesure de qualifier les faits infractionnels, ils ont juste décidé de priver les journalistes de la liberté sans pour autant les transférer devant un magistrat compétent. On est en droit de se demander si tous ces services qui ont vocation de travailler sous la direction du Ministère public sont-ils contrôlés, ou les agents qui y travaillent  brillent-ils par des actes d’insubordination ? En dépit des recommandations issues de plusieurs assises organisées tant dans la capitale Kinshasa qu’à l’intérieur de 26 provinces congolaises pour redorer l’image de la justice congolaise, il y a lieu de faire observer que les anti-valeurs ont la peau dure, surtout dans le secteur de la justice. La révision à la hausse du traitement salarial des hommes en toges noires, la nomination des jeunes magistrats (génération tolérance zéro), l’institution du Conseil supérieur de la magistrature et d’autres structures, les efforts de renforcement des capacités du personnel judiciaire …ne semblent pas avoir redonné à notre justice ses lettres de noblesse, curieusement la situation s’empire et le justiciable est gagné par l’insécurité juridique et judiciaire. Etant membres de cette société des anti-valeurs, les journalistes et leurs médias ne sont pas épargnés. Victimes de l’arbitraire et de l’instrumentalisation de la justice, les professionnels de la presse n’ont plus que leurs plumes et microphones pour dénoncer ce qui ne marche pas selon l’ordre normal des choses. Mais le dysfonctionnement de la justice et de tous les services qui y sont rattachés les rendent encore plus vulnérables, et menace la liberté d’information. Une liberté chèrement acquise au prix de plusieurs sacrifices, que le droit voudrait voir les journalistes défendre à tout prix. Sans une volonté politique réelle des décideurs pour décourager certaines pratiques, on est tenté d’affirmer que les médias continueront de faire le frais de ce dysfonctionnement de la justice mais les Défenseurs de la liberté de presse parmi lesquels les membres de l’OLPA sont plus que déterminés à les accompagner dans cette noble lutte de défendre ce corollaire d’une liberté fondamentale qu’est la liberté d’expression et d’opinion.        

Joseph-Alain Kabongo, Défenseur


OLPA SOULAGE APRÈS LA LIBÉRATION D’UN JOURNALISTE A GOMA


Kinshasa, le 4 juillet 2016. L’Observatoire de la Liberté de la Presse
en Afrique (OLPA), organisation indépendante de défense et de
promotion de la liberté de presse, se dit soulagé par la libération de
Papy Okito Teme, journaliste et éditeur d’Echo d’opinions, un journal
paraissant à Goma, chef-lieu de la province du Nord-Kivu, à l’Est de
la République démocratique du Congo.



Papy Okito Teme a été libéré, le 2 juillet 2016 après 72 heures
d’incarcération, par le Parquet général de Goma et après paiement
d’une caution de 270 000 Francs Congolais (l’équivalent de 270 dollars
américains) avec obligation de se présenter chaque mardi et vendredi
devant le magistrat instructeur du dossier.

Pour rappel, Papy Okito a été arrêté le 29 juin 2016 par trois agents
de la Police nationale congolaise (PNC/Goma) agissant sur injonction
d’un huissier du Parquet général, alors qu’il se rendait à la Division
provinciale de l’Information et presse pour un rendez-vous.
Le journaliste a été immédiatement conduit à la prison centrale de
Munzenze de Goma, puis entendu trois jours plus tard sur procès-verbal
par un magistrat. Il est accusé d’imputations dommageables à l’endroit
de M. Modeste Bahati Lukwebo, ministre de l’Economie nationale.

Dans son édition n°28 du mois de mai 2016, le journaliste a publié un
article intitulé : « Bahati Lukwebo soupçonné d’enrichissement sans
cause ». Dans cet article, Echo d’opinions faisait état de
l’enrichissement du ministre et souhaitait voir la Cour
constitutionnelle mener une enquête à cet effet.