Faire les frais du dysfonctionnement de la justice, le lot quotidien des médias et journalistes de RDC
En République démocratique du Congo (RDC), la liberté d’information est toujours à rude épreuve. Il y a lieu de s’interroger sur la persistance de cette situation en dépit d’un arsenal juridique relativement appréciable en termes de garantie de liberté de presse.
Il ne se passe pas une semaine sans qu’un media ou un
professionnel de media puisse faire l’objet des violences qui est le fait principalement de ceux qui
sont appelés à assurer la sécurité des personnes et de leurs biens ; et
accessoirement des privés qui peuvent être soit des personnalités influentes,
ou encore des bandes des jeunes survoltés. Dans sa mission de défendre et de
promouvoir la liberté d’information, l’Observatoire de la Liberté de la Presse
en Afrique (OLPA) n’a cessé de tirer la sonnette d’alarme sur les
interpellations, incarcérations, harcèlement ou autres actes d’intimidation à l’endroit
des professionnels de la presse congolaise. Et tout récemment, fin juin et mi-juillet
2016, OLPA a rapporté trois cas d’arrestations des journalistes à Goma (Nord
Kivu) et Mahagi (Ituri), lesquels illustrent un dysfonctionnement inadmissible
de la justice au Congo.
Le journaliste Papy Okito du journal Echo d’Opinions de
Goma a été interpellé par des agents de police qui l’ont conduit directement à
la maison d’arrêt situé au Parquet de grande instance de Goma. Sans être
auditionné, il a été transféré et placé en détention à la prison de Munzenze à
Goma dans la plus grande irrégularité. Son péché est de s’être interrogé sur le patrimoine d’un ministre du gouvernement
central dans la dernière parution d’Echo d’opinions. Au lieu de susciter un
débat citoyen, la publication a été à la base de la colère du ministre et de
ses proches. D’où, l’irrégularité qui a entaché la procédure d’arrestation du
journaliste. Le journaliste Okito a
passé trois jours à la prison centrale de Munzenze sans être entendu ni par un
magistrat ni par un inspecteur judiciaire. Ce n’est que 72 heures après qu’il a été
auditionné par un magistrat qui ne pouvait que constater l’injustice pour
décider de sa relaxation tout en lui enjoignant de payer une caution de 250
mille francs congolais, on ne sait pourquoi. Dans la même ville de Goma
quelques jours après, un autre journaliste a été appréhendé pour avoir supprimé
une photo sur un statut Whatsapp. Le comble de cette histoire sans aucun rapport
direct avec l’exercice de la liberté de presse, est que ce journaliste a été
plusieurs fois gardé au domicile d’un officier de la police qui exécutait des
ordres venant d’un quidam de Kinshasa. Il a du verser une forte somme d’argent
pour recouvrer sa liberté. En Ituri, les agents d’un service spécialisé des
Forces armées se sont aussi donné le luxe d’arrêter les journalistes Jacques
Unyuta Tuambe et Joel Ular Wedunga de la radio communautaire la Colombe de
Mahagi, on ne sait à quel titre. Donnant l’impression d’exécuter un ordre manifestement
illégal venu d’ailleurs, ils vont abandonner les deux journalistes dans un
cachot de la police où le Commissaire de police ne cessait de s’interroger sur
le bien-fondé d’une telle interpellation. Et comme le ridicule ne tue pas, ce
sont des agents de l’ANR Mahagi qui s’improvisent pour entendre les
journalistes sur procès-verbal. Quelle entorse ? Sans être en mesure de qualifier
les faits infractionnels, ils ont juste décidé de priver les journalistes de la
liberté sans pour autant les transférer devant un magistrat compétent. On est
en droit de se demander si tous ces services qui ont vocation de travailler
sous la direction du Ministère public sont-ils contrôlés, ou les agents qui y
travaillent brillent-ils par des actes d’insubordination ?
En dépit des recommandations issues de plusieurs assises organisées tant dans
la capitale Kinshasa qu’à l’intérieur de 26 provinces congolaises pour redorer
l’image de la justice congolaise, il y a lieu de faire observer que les
anti-valeurs ont la peau dure, surtout dans le secteur de la justice. La
révision à la hausse du traitement salarial des hommes en toges noires, la
nomination des jeunes magistrats (génération tolérance zéro), l’institution du
Conseil supérieur de la magistrature et d’autres structures, les efforts de
renforcement des capacités du personnel judiciaire …ne semblent pas avoir
redonné à notre justice ses lettres de noblesse, curieusement la situation s’empire
et le justiciable est gagné par l’insécurité juridique et judiciaire. Etant
membres de cette société des anti-valeurs, les journalistes et leurs médias ne
sont pas épargnés. Victimes de l’arbitraire et de l’instrumentalisation de la
justice, les professionnels de la presse n’ont plus que leurs plumes et
microphones pour dénoncer ce qui ne marche pas selon l’ordre normal des choses.
Mais le dysfonctionnement de la justice et de tous les services qui y sont
rattachés les rendent encore plus vulnérables, et menace la liberté d’information.
Une liberté chèrement acquise au prix de plusieurs sacrifices, que le droit
voudrait voir les journalistes défendre à tout prix. Sans une volonté politique
réelle des décideurs pour décourager certaines pratiques, on est tenté d’affirmer
que les médias continueront de faire le frais de ce dysfonctionnement de la
justice mais les Défenseurs de la liberté de presse parmi lesquels les membres
de l’OLPA sont plus que déterminés à les accompagner dans cette noble lutte de
défendre ce corollaire d’une liberté fondamentale qu’est la liberté d’expression
et d’opinion.
Joseph-Alain
Kabongo, Défenseur
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